Barbarie de la Police libanaise sous le président Béchara El-Khoury

Lettre inédite du Docteur Dahesh à Maître Edouard Noun
(écrite durant l’exil)
et où il se confie sur la barbarie du gouvernement libanais sous Béchara el-Khoury. Une révélation qui nous laisse encore totalement pantois… Comment, des crimes pareils, contre un civil innocent de tout méfait, délit ou offense à la loi, sont-ils restés tout ce temps impunis! Découvrez surtout comment Dahesh a réagi… et par quel miracle il a échappé à la mort !

Lettre inédite conservée dans les Archives daheshistes, et où l’on y découvre comment Dahesh échappa à la mort, et à quel prix !

Mon frère, Maître Edward Noun,

Que Dieu vous protège !

Mon frère, ce qui m’est arrivé et ce que je suis sur le point de vous relater, est plus pareil aux légendes grecques !

Quiconque lira mon histoire me prendra pour un conteur habile, à cause des graves afflictions qui m’ont été infligées par le Gouvernement libanais, en cet âge de la liberté de la pensée et des lumières qui place sa fierté dans le respect des droits de l’homme et l’application des lois civiles et sociales.

Et maintenant, écoutez ma véritable histoire (telle que je l’ai vécue dans ma chair) et qu’elle soit connue de l’opinion publique et des autorités afin que vous puissiez me rétablir dans mes droits, desquels je fus privés par ceux qui n’ont pas hésité à me pousser vers ma mort pour satisfaire leurs méchants objectifs. Mais Dieu a voulu que je survive malgré eux !

Dans la soirée du 9 Septembre 1944, les hommes suivants arrivèrent à la « Prison des Sables » (où le Docteur Dahesh était enfermé provisoirement par ordre du Gouvernement libanais en attendant de décider de son sort) : le directeur de la Police, Ârif Ibrahim, le chef des services secrets, Omar Tabbarah, et le commissaire de la police de la région d’Al Burj (quartier du vieux centre-ville de Beyrouth surnommé également « Place des Canons » ou « Place des Martyrs »), Mohammed Ali Fayad. Ils demandèrent au sergent Kaïsar, qui était de garde dans la prison cette nuit-là, de m’informer qu’un mandat de libération a été émis à mon intention, et que la direction de la prison va me relâcher ce soir même, à condition que je ne divulgue ceci à aucun prisonnier ou à aucune autre personne de garde cette nuit ! En effet, Kaïsar est venu, m’a pris à l’écart des autres prisonniers et m’a communiqué ce message en m’adjurant de n’informer personne de ce qu’il vient de m’apprendre.

Sur ce point, je devins méfiant et je lui dis : « Si ce que tu me raconte est vrai, pourquoi alors cette discrétion, et pourquoi je ne puis sortir tout de suite ? »

Il répondit, hésitant : « Parce que nous n’avons pas encore reçu en main ton mandat de libération ».

Je lui dis : « Alors comment l’as-tu appris, et par qui ? »

Il me coupa d’un geste de la main et me dit : « Ceci ne te concerne pas du tout ! La réalité à ce sujet, c’est que certains individus vont arriver à dix heures cette nuit pour t’emmener à la maison chez toi. Seulement, garde ceci en total secret et ne dis rien de cela aux autres prisonniers. »

Je lui répondis : « Tu dois savoir, Kaïsar, que je ne ferai pas un seul pas en dehors de la prison tant que le Dr. Georges Khabsa et maître Edward Noun ne seront pas présents ici tous les deux. Seulement quand je serai parti en leur compagnie, je saurai pour sûr la véracité de tes propos. Cependant, si quelqu’un d’autre qu’eux vient me prendre pour m’emmener chez moi, ce sera un complot pour se débarrasser de moi… »

En le quittant, j’étais dans un état de nervosité des plus sévères, sentant confusément que quelque chose se tramait contre ma vie ! Et cela n’était pas pour me calmer quand il fit une seconde tentative en m’implorant, à plusieur reprises, de garder l’affaire secrète. Mais naturellement, à peine rentré dans ma cellule, j’ai informé de ceci les autres prisonniers qui la partageaient avec moi, en leur disant : «  Il existe une dangereuse conspiration contre ma vie. Ils prétendent qu’ils veulent me libérer pourvu que je garde le sujet secret. Derrière cette discrétion, leur vrai motif est de m’abattre d’une balle dans la tête aussitôt que je serai dehors, ou plutôt quand ils me poursseront dehors, et puis après ils iront prétendre : Il a essayé de s’enfuir de prison et, en fait, il a réussi à s’en échapper… Pour cette raison, on s’est trouvé dans l’obligation de lui tirer dessus. Ainsi, ils couvriront d’un voile leur crime… Je voudrais maintenant que vous sachiez tous ceci, et que si jamais cette chose arrive, il sera de votre devoir d’informer ma famille et mes amis afin qu’ils portent devant l’opinion publique les détails de ce crime odieux… »

Kaïsar s’était rendu compte que j’avais informé les autres prisonniers et il n’était pas content de cela. Lui, à son tour, il avertit rapidement le directeur de la Police et ses deux compagnons que leur plan était éventé, et que tous les prisonniers en parlaient entre eux. Ceci n’était guère agréable pour eux, car ils ne pouvaient plus rien faire pour que cela ne s’ébruite parmi les autres détenus.

À dix heures de la nuit, la porte de ma cellule fut ouverte, et Kaïsar, accompagné de deux policiers en civil, s’approcha de moi en me disant : « Ils vous attendent dehors pour que tu partes chez toi  en leur compagnie ».

Je refusai fermement puisque je savais que c’était un complot pour attenter à ma vie. Mais ils insistèrent absolument. Et malgré que je demeurais non convaincu, je demandai à voir le mandat qui ordonnait ma libération, et je le lus…

Puis contre ma volonté, je fus conduit au bureau du directeur de la prison. Là-bas, m’attendaient ceux que j’avais mentionnés plus haut : le directeur de la Police, ainsi que Omar Tabbara et Mohammad Ali Fayad. Je leur demandai de faire venir mes amis. Ils refusèrent, et me dirent : « Nous vous accompagnerons jusqu’à chez vous ».


Sortie de prison, passage chez les Hadad et agression de Mohammad Ali Fayad

Nous allâmes premièrement à ma résidence, laquelle à ma grande surprise, était encerclée par un grand nombre de policiers, tous l’arme au poing. De là, nous continuâmes notre route vers la maison du frère Georges Hadad, le beau-frère de ton ancien ami [allusion au président Béchara El-Khoury], pour y prendre un peu d’argent auprès de ma sœur Antoinette [qui se trouvait chez les Hadad avec sa mère], puisqu’ils m’avaient appris en dernière minute qu’ils avaient l’intention de m’emmener d’abord à Tripoli où je devais demeurer sous surveillance gardée pour une période d’un mois, après laquelle ils me ramèneront à Beyrouth.

Lorsque nous atteignîmes la résidence du frère Georges Hadad, Mohammad Ali Fayad sonna à la porte. Ma sœur Antoinette regarda dehors par une des fenêtres. Je l’appelai alors et lui demandai de descendre, car j’avais à lui parler. Elle descendit les escaliers en courant, et derrière elle surgit Magda, la fille de Georges Hadad. À peine Mohammad Ali Fayad les a-t-il vues descendre les escaliers qu’il me poussa en arrière avec une force extrême. Lorsque j’ai essayé de me libérer de sa main violente, pour enlacer ma sœur [qui s’était jetée dans les bras de son frère en pleurant], un terrible combat s’ensuivit entre Magda et les deux policiers qui voulaient l’empêcher de s’approcher de moi, durant lequel Omar Tabbara, tira en l’air quatre ou cinq balles de son revolver.

Soudain, je fus frappé par Mohammad Ali Fayad [d’un coup de crosse de son revolver] sur le haut de ma tête, et je tombai par terre et perdis connaissance à cause de ce coup terrible que m’assena de sa main cette bête méchante et sauvage.

Ce qui me parut étrange, cependant, c’était le fait que je pouvais entendre distinctement les bruits, les cris et les échanges de conversation de la foule autour de moi, mais j’étais incapable de faire un geste, de prononcer un mot. Ma langue était nouée par ce coup prodigieux que m’assena Mohammad Ali Fayad sur la tête.

Finalement, ils m’entravèrent les mains et les pieds, me portèrent et me jetèrent dans la voiture du directeur de la Police criminelle.

Et je vous jure, ô mon cher frère, par le Seigneur des Cieux et le sang pur de Jésus Christ – que pendant tout le trajet – du moment où ils m’avaient jeté dans la voiture jusqu’au moment où nous atteignîmes le commissariat de la police d’Al-Burj, le scélérat et féroce Mohammad Ali Fayad, n’a pas cessé un moment de m’épuiser avec de violents coups de poing sur mon visage, sur la bouche, mes lèvres, ma poitrine, la tête, et partout sur mon corps, tandis qu’il m’insultait et m’injuriait en des termes visqueux et obscènes, comme jamais auparavant dans ma vie je n’ai entendu d’aussi méprisables.

Lorsque nous arrivâmes enfin à la station de la Police Centrale que vous connaissez bien, Ali Fayad me cria de descendre de la voiture. J’essayai d’obéir, mais j’étais incapable de bouger à cause des coups sévères que j’avais endurés. Immédiatement, les trois monstres ensemble se mirent à me taper dessus à coups de poings. Puis, Mohammad Ali Fayad commença à me donner des coups de pieds avec toute la force qu’il pouvait rassembler pour me forcer de sortir de la voiture. Je m’efforçai vaille que vaille de me tenir debout, mais j’étais incapable de le faire, par contre, je m’effondrais d’épuisement et je ne pus marcher sur mes pieds. Un nombre de policiers se tenaient en garde sur chaque marche de l’escalier de la station de police – comme si j’étais un criminel dangereux qui pouvait prendre la fuite. Ils me portèrent dans la chambre des officiers des Services secrets qui est adjacente, comme vous savez, au bureau de Omar Tabbara.


Flagellation et torture policière contre le Docteur Dahesh au commisariat de police de Beyrouth

Et là-bas, oui là-bas, le scélérat Mohammad Ali Fayad se saisit d’un fouet épais et commença à me fouetter le corps avec une sévérité énorme, et je sentis comme si on m’arrachait l’âme. Ma chair fut déchirée et lacérée, et le sang s’écoulait de mon corps. Pourtant, il n’arrêta point ses coups que lorsqu’il devint trempé de sueur, haletant comme une bête au labour qui a supporté un travail fatiguant pendant toute la journée et toute la nuit.

À ce point là, il lâcha le fouet de sa main, seulement pour être ramassé par Omar Tabbara qui reprit à me fustiger avec une plus grande puissance de coups. Et quand il devint à son tour fatigué de trop de flagellation, le fouet fut passé à un autre, puis à un autre et à un autre encore… jusqu’à ce que je pensai qu’ils voulaient que je meurs sous les coups de fouet.

Finalement, Ârif Ibrahim, le très noble et bien élevé directeur de la Police de Beyrouth, de si bonne moralité, s’approcha de moi et, avec toute sa force et sa puissance, me gifla plusieurs fois. Le sang coula de ma bouche et je perdis totalement conscience… puisque je sentis que je tournais avec la Terre ou bien que la Terre tournait autour de moi, et les murs et la prison et le monde, tout s’évanouit sous mes yeux. Lorsque je repris conscience, je m’éveillai sur de l’eau froide versée sur moi par ces bourreaux. Ils firent un second tour de flagellation et de torture policière (comme seuls en sont capables nos braves policiers). Après ceci, ils me portèrent jusqu’à la voiture alors que j’étais couvert d’insultes sordides que même les vulgaires ont honte de prononcer. Ces insultes sortirent de la bouche de l’honorable, du noble et bien né Mohammad Ali Fayad, le commissaire de police de la région d’Al Burj, l’homme chargé de la protection des bonnes éthiques et du maintien de la sécurité et de la paix publique ! Quelle honte ! Oh ! malheur à toi, Nation, affligée par de semblables bourreaux barbares !


Vers Tripoli : Colère de Omar Tabbara à la remarque de Dahesh, révolté contre les agissements barbares de la Police libanaise

Et dans la voiture, oui dans la voiture, ô mon frère Edward, ils m’installèrent enchaîné. À ma droite, s’assit un agent secret nommé Abd Al-Salâm Itani et à ma gauche, se tint l’agent secret Sezack Setrack. Le nom du conducteur de la voiture est Mohammad Al-Makki, le fils même du Cheikh Hassan Al-Makki, qui lui aussi était un agent secret. À ses côtés, s’installa le commissaire Omar Tabbara.

Ici encore, malheureusement, ô mon frère Edward, Omar se saisit de son fouet et commença à me flageller tandis que la voiture roulait vers Tripoli. J’étais en grande peine et je lui dis : « N’est-il pas honteux de fustiger un homme qui n’a fait de mal à personne, et contre lequel aucune évidence d’allégation n’a pu être fournie par le Bureau du Procureur général ou les Services secrets ? Et supposons, à Dieu ne plaise, qu’une allégation fut prouvée contre moi, il y a toujours des Cours de justice où je peux être jugé selon les lois du pays. En conséquence, ils pourront me condamner à la prison. Mais là, frapper, flageller, tourmenter et torturer : ce sont des méthodes utilisées seulement par les gens barbares et non des civilisés. »

Comme si mes mots furent un nouvel élan pour qu’il renouvelle son fouettage. Et en fait, il le fît. Deux coups du revers de son fouet s’abattirent sur mon cœur, je sentis qu’il s’arrêtait de battre, un autre coup tomba sur ma main gauche, causant un handicap dans trois de mes doigts. Et encore une fois, je perdis connaissance. Lorsque je repris conscience en chemin, je remarquai que la voiture parcourait encore les distances à grande vitesse. Quant à moi, j’étais dans l’état suivant :

Je portais une simple chemise, déchirée pendant le combat, sans veste parce que Mohammad Ali Fayad m’avait traîné avec, il me l’avait arrachée, l’avait jetée par terre et l’avait piétinée. Mon pantalon était lui aussi tout déchiré… Ma tête était enflée à cause des coups terribles qui me furent infligés. Mon corps entier était broyé par les centaines de coups de fouet reçus des mains de ces hommes grossiers. Mon visage était dans un état tel, que s’il était vu par les personnes les plus proches de moi, elles ne m’auraient point reconnu : j’avais les joues et les lèvres gonflées, les yeux brouillés, les cheveux ébouriffés, dans la plus misérable des conditions devant laquelle, même un ennemi, aurait ressenti de la peine.

Ils n’étaient pas satisfaits, à ce qu’il semble, après toutes ces souffrances que j’avais déjà endurées, car Omar Tabbara continua l’effusion de ses insultes scandaleuses… J’étais plus étonné de leur barbarie que du mal que son animosité me faisait subir : comment un Gouvernement qui se respecte accepte-t-il d’employer de telles créatures et leurs semblables ?!… Tandis que la voiture continuait sa route folle, je ne cessai de me répéter à chaque seconde qu’à présent, ils vont me tuer et se débarrasser de moi en me jetant dans quelque ravin.

À neuf heures du matin du Dimanche 10 Septembre 1944, nous atteignîmes Alep en Syrie. Là-bas, ils m’emmenèrent immédiatement aux bureaux du département de la Sûreté Générale de l’Armée française. Quelle ne fut pas ma surprise… [ La suite prochainement… ]

Dénationaliser un citoyen - crime qui dépasse tous les crimes - et c'est pourtant ce que s'est permis le président libanais Béchara el-Khoury contre le Docteur Dahesh.

Lisez à ce propos la lettre historique de Marie Hadad 
adressée au Secrétaire général des Nations Unies vingt-cinq ans avant l’éclatement de la guerre civile qui a ravagé le Liban :

« J’en appelle donc à votre haute compétence, comme à la plus grande autorité mondiale représentant tous les pouvoirs,
comme des justiciers suprêmes représentant sur la Terre la Justice de Dieu.
[Nous les Daheshistes, nous réclamonsla restitution de la nationalité du Docteur Dahesh. Et, remplissant
un devoir qui s’impose, nous avons recours à votre Cour Suprême, vous pressant d’étudier
rigoureusement cette affaire qui dépasse les bornes du Liban. Votre Cour fera en ce
cas œuvre de justice et d’humanité… Elle préviendra que ce conflit ne se développe davantage encore. 
Je vous l’affrime : il risque un peu plus tard d’ensanglanter le Liban au même titre que la Palestine, cela si aucune suite
n’est donnée de votre part à cette requête accusatrice. »

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