Ouverture
Un million d’hommes!
Morts pour la patrie!
Un million d’hommes!
Qui ont abreuvé de leur sang
Les champs de bataille!
Un million d’hommes!
Dans mon rêve le plus profond
je te vis!
– Dahesh! –
Tu étais au-delà du Monde,
siégeant comme une vision de jaspe et de cornaline,
sur un Trône de diamants et d’émeraudes.
Tes Six Anges se tenaient trois à ta droite, et trois à ta gauche!
Un Séraphin de ton Armée céleste s’avança,
tenant une balance prête dans la main.
Quand tu lui fis signe,
il se pencha et cueillit le Monde,
comme un fruit mûr sur la branche du Temps;
et le posa sur un des plateaux éclatants de la balance.
Et puis il le pesa…
Vendanges sont faites !
À pas de velours
les lutins fuient ;
et les nymphes
et les satyres des bois…
Je suis la Tempête suave
qu’emplit la colère des flots!
Je souffle sur les Étoiles
et j’éclipse leurs Mots!
J’ai l’Impossible pour Esclave
et l’Avenir, je le nargue de mon Ombre opaque!
Je suis le Barbare! et j’aime les fleurs!
Comme Pan mon coeur vit d’amours,
et mes fureurs dévorent la Nature pie!
Je suis le Temps qui crée
et le Volcan qui transforme!
On m’appelle la Mort,
je suis Satyre!
Ce fut hier ce jour où ton souffle
m’envahit,
hier,
ce jour où mon âme t’enlaça
en mille flots permis.
Amour!
Rêve!
Chanson!
Si un jour tu me demandes de chanter
pour toi une chanson,
mon coeur bondira de joie
comme une gazelle dans les savanes de midi;
et les rythmes éclateront dans mes jardins
comme soudain un essaim de colombes,
éclaboussant un beau ciel d’azur!
J’irai tôt vers le soleil,
dénuder les premiers rayons de sa lyre;
[Volet gauche du triptyque]
« Un grand prophète est parmi nous.
Un prophète que chante l’Évangile de Jean,
le Coran sacré de l’Islam
et les pages immortelles de David et de Salomon… »
Je marcherai obstinément vers mon but,
sans me soucier de la nuit,
ni du long chemin qui se dilue à l’horizon!
Vers mon but, Seigneur,
je marcherai obstinément!
Seigneur!
L’Univers est un « Poème immatériel »
qui ne cesse de germer
au sein des galaxies.
Le jour où l’Harmonie reprendra la tribune sidérale,
pour accorder nos doutes et nos cris,
tous sauront
que Toi seul
es Dieu, l’Unique et l’Infini!
Depuis l’aube des temps,
Tes poèmes palpitent au coeur des galaxies,
dans des vers qui vivent et se multiplient
en genèses, déclins et recommencements!
Chaque peuple,
chaque nation,
et chaque être dans son domaine, Seigneur,
tente de se vanter d’une chose, qui,
en bonne réalité, ne lui appartient pas.
Car Toi seul est le Dispensateur
de toutes choses ici-bas!
Celui-ci dira: « N’est-ce-pas moi, Muse,
qui ai donné cette belle page?! »
Et cet autre: « Ce merveilleux tableau,
n’est-il pas venu au monde que grâce à mon pinceau? »
Une idée d’Absolu est née
au cœur de Ton immense Coeur Divin ;
et Tu as créé les Mondes sans commencement ni fin !
Tout au long des millénaires,
les Âmes s’éveillent et s’appellent l’Une l’Autre.
Elles se mêlent et se confondent,
se fuient, s’enlacent et se défient.
Elles paraissent se demander une source d’accord sidéral,
avant d’entamer l’Idéal Concert cosmique!
Ils se sont se prosterner parmi la foule
venue se bénir le front en ces lieux impassibles,
où tu demeurais muet et lointain!
Et quand mon tour arriva,
pour esquiver ma confusion et la leur, je fuis au loin!
Car dans mes mains, je ne t’offrais qu’une frêle marguerite,
qui souriait bien pauvre mais lutin!
L’hiver aura plus de pleurs,
et plus de tristesse hantera
nos saules pleureurs,
pour un « seul innocent divin », mort sur l’autel qui préjuge
que pour « l’humanité entière »,
saccagée par les crimes de guerre…
Pour un seul divin, seigneur,
l’hiver eût plus de pleurs!
Demain je serai un peu de cendres
dans la main de la nuit!
Demain je serai un chant muet
au sein d’une corolle!
Mais Ton souffle ressuscitera ma joie,
et les abeilles messagères
butineront dessus ma fleur!
Seigneur!
J’ai besoin de Ta lyre,
pour chanter et pleurer.
J’ai besoin de Ton amour
pour T’écouter et T’aimer.
J’ai besoin d’une ombre tranquille,
pour admirer et prier.
J’ai besoin d’un rameau de silence,
loin de ce monde monotone.
Seigneur!
J’ai besoin d’une tombe solitaire
afin de renaître et m’envoler!
Tout nu,
l’arbre au vent
offre sa chevelure,
où mille pipeaux secs
broutent des poèmes brefs et aigus!
Mélancolique et tout nu en sa masse enchevêtrée,
– d’où tombe comme un bruit de soie –
l’arbre, plein de soleil, offre des rameaux fiers,
d’où des ailes splendides
fuient…
vers l’ombre disparue
des fleurs!
Boudeuse la lune,
au clair de son charme,
verse sur l’eau rêvante,
des caresses humides!
Boudeuse la lune,
charme mes heures,
où au clair soyeux de ses rayons,
je pense, médite et pleure!
Ô nuit insondable!
Nuit éternelle et pure,
éloigne de moi le havre désiré!
J’ai connu,
– oh! comme la soif est belle! –
j’ai connu un plus haut bonheur
que celui d’être!
Ô havre, éloigne,
éloigne encore, et encore ton ombre!
Que ma marche vers tes cimes
dure l’Éternité!
Nuit insondable et pure,
éloigne-les encore!
Que ma marche vers tes étoiles
m’enivre toujours!
Mai chéri!
Mai bien-aimé des jardins fleuris;
Mai de la mélancolie qui se déride et qui sourit;
Mai des chants, des cantiques
et de l’onde superbe
et choisie;
J’aime la Poésie,
son séjour riant et ses vertes fontaines;
et sa lune argentée,
qui caresse qui caresse un lac automnal, bleu ou doré!
J’aime le silence environnant qui tombe,
comme une chevelure de saule pleureur,
des nuits sidérales!
J’aime le soleil aussi, qui fredonne qui fredonne sa cadence
au rythme des oiseaux;
tantôt ocellé et frémissant,
tantôt rieur et goélette comme une mouette ivre de vents!
Silence! Silence des dieux!
Silence de cygne!
Silence près des fontaines claires,
que nul objet étrange à sa nature ne dérange!
Silence de parfum dans le mystère des bourgeons!
Silence pur et léger,
évoluant à pas de chatte dans les cieux!
Silence sidéral qui me parle d’étoiles multicolores!
As-tu regardé la mer, mon ami,
et les cascades qui naissent
des rochers qu’elle drape de son écume?
As-tu vu son sein se gonfler,
respirer la plage, jeter et reprendre
ses filles marines?
As-tu aimé le vol onduleux
des blancs goélands,
survolant la nappe bleue?
Je te chante
en des mots qui pleurent,
toi que personne ne connaît!
Et cette tristesse est toute ma joie!
Je te chante sur la terre oublieuse
où tant de colombes furent reniées!
J’ai peur pour toi,
lumière des générations.
Ici, c’est le coeur de l’enfer,
une rose de vices
que l’on nomme la Terre!
Reprends ton vol,
ô blanche colombe de Noé!
vers tes paradis d’émeraudes et de diamants!
Ô Poésie!
Toi qui ne chantes que la vie et l’amour en l’homme,
allons retrouver l’aube,
au bout du long chemin,
retrouver l’aube au bout de la lutte!
Voici nos chants!
Voici notre sang!
Voici nos rêves, nos peines et nos diamants!