L’Étoile du Berger

Seigneur!
C’est bien loin l’Étoile du Matin!
Quand j’ai soif de son onde absolue,
je contourne les lacs accueillants,
là où miroite, légère,
son image hyaline,
avec des reflets doucement pâles
et lamés.

Les Coquelicots

Ô mes coquelicots,
mes désirs, mes joies!
Je suis en vous,
je suis votre champ,
je suis votre rouge et noir silence!
Et votre simple et indifférente beauté,
nue et farouche,
comme une goutte de sang,
qui oublie…

On doit lutter pour sa cause

Rebelle-toi mon coeur!
Rebelle-toi!
Contre la foi de ce siècle impie et irréligieux!
Rebelle-toi contre les religions du méchant,
et le mensonge des savants!
Rebelle-toi contre la nuit qui aveugle
et les soleils qui éblouissent!
Rebelle-toi mon coeur!
Rebelle-toi!

L’Exilé

Ô Prophète! ô compassion!
Le Monde entier est Ta « gazelle »,
et le Ciel, Ta couronne et Ton dôme!
Prophète Bien-Aimé,
la Terre repose sur Ton piédestal,
et le printemps, en Ton sourire!
Et l’été, l’été Ton coeur, Tes fruits et Ton verbe!
Et l’automne – bosquets de flammes –
Ton chant jusqu’à l’hiver!
Oh, l’hiver! Tes larmes qui coulent pour nous étancher!
Tes larmes fraternelles!
Et la musique céleste,
Tes mouvements superbes!
Et ce rythme d’étoiles?
Ton coeur qui bat pour rythmer l’harmonie…
– Oh! quelle est suave et superbe,
une harmonie arc-en-ciel! –
L’harmonie!
Tu fus, Dahesh! et le Monde jaillit comme une Pensée!
Comme un hymne élevé
qui commémore cet instant
qui toujours sera…

Prophète!
– Prophète des Dieux et de l’Orphelin, –
l’homme est Ton ami,
sa tristesse est Ton enfant,
et sa joie, Ton ombre!
Ô Prophète! ô compassion!
L’Amour est Ton Pardon dans l’infini;
et le paradis se séduit à Ta ressemblance,
à Te ressembler rêvent les étoiles vivantes du paradis!
Oh! Ta ressemblance!
Toi qui nourris la « gazelle des étoiles » dans le creux de Ta main!

Et la Terre qui tremble?
et la guerre qui gronde?
et les cieux et l’enfer dans l’homme Ton frère?
Une « écharde » que l’éternité a semée dans Ta chair,
une épine de la fleur perfide des jours!
Et l’Avenir? et le Passé?
Ton éternel Présent!
Et l’Invisible et l’Inaccessible, et l’Univers?
Ton « Visage Caché! »
Ô Prophète des compassions!
Amour inlassable!
Océan insondable de vertes amours émeraudes!
Dieu dans le Ciel! Là, exilé et apatride!
Lève-Toi et ravage nos coeurs!
Léve-Toi!
et apprends-nous comment respecter Tes fleurs!…

Jamais

Si toute la Terre,
hérissée de clochers sublimes,
déchirait le Ciel à ses carillons,
– comme Tes paradis, Seigneur!
en jour de fêtes –
je n’élèverai mon regard, ni ne sécherai mes larmes,
que le jour où j’entendrai Ses pas!

Je fermerai mon coeur à tous les matins,
et davantage chaque nuit,
je m’abîmerai sans lever les yeux à Tes étoiles,
jusqu’au jour, Seigneur!
où j’entendrai Ses pas!

Aucun fruit ne me tentera,
aucune joie! aucun remords!
Je laisserai Ton calice vide,
ma table nue, sans pain,
jusqu’au jour où j’entendrai Ses pas!

Aucune prière ne sortira de ma bouche,
de mon coeur meurtri,
ni chant ni au moins l’espoir d’un regret jamais,
n’effleurera ma poitrine!
Je serai néant noir,
sans lune, sans reflet, sans étoiles,
jusqu’au jour, Seigneur!
où j’entendrai Ses pas!

L’Heure féline

À l’heure où la rose, le songe et le parfum,

se prélassent rose, noir, ou safran!

à l’heure où le mal de génie,

languit poème, chant et prose!

à l’heure où la Nymphe diurne

se baigne sous la ramée du silence opalin!

Le Parfum inexprimé

Je sens vivement palpiter en moi,

comme le parfum d’une foule d’accords inexprimés.

Et qui s’éteignent avec des échos finement lointains,

dès qu’ils effleurent ma conscience.

Mais à chaque fois que je prends la plume

pour épingler ces êtres aux ailes de musique,

le rythme et la pensée nette m’échappent;

L’Obstiné

Dahesh !

Je reviendrai demain,

avec le chant des étoiles,

adorer l’ombre bénie de tes palmiers !

Je reviendrai avec la brise de l’hiver,

humer le parfum de tes contrées fleuries !

Je reviendrai de la tombe, pleurer mon soleil disparu,

toi mon espoir et ma vie !

Nocturne

Quand mon crépuscule atteindra
ses rimes nocturnes,
ô vie,
que dans une étreinte plus forte que l’Amour,
mon âme en toi s’épanouisse poèmes et oubli!
Toi qui embellis de doux ocelles la chenille,
et ranimes de tempêtes oubliées l’onde sénile;

La rive des Séraphins

Allons vers l’autre rive, mon âme,
allons renaître aux temps nouveaux!
– Où rien de ce monde n’existe,
d’où tout l’homme est banni. –
Où les jardins ont des musiques pures,
et la mer, la magie des chants divins!
Allons-nous mon âme vers d’autres rivages,
où l’ombre est colorée comme l’aube,
au pastel des paradis;
et le bonheur, joaillier de nos amours,
en mille vagues revient se briser sur les pierres,
et polir le chant des feuillages.