Amertume
Nous sommes l’un de l’autre,
– étoiles du silence! –
Je suis de toi,
– pouvoir sidéral! –
Et vous rêves! rêves!
Comme l’eau d’une fontaine,
nous sommes l’un de l’autre
– amertume! –
Offrande poétique?!
Je te veux comme un salut que je lance, de loin (avec mon foulard et ma guitare de bohémien,) à l’humanité entière. Le jour où j’atteindrai les cimes, mon salut sera d’une autre sève!
Est-ce déjà l’aube?
Celle qui doit venir?
Celle qui doit trancher?
Celle qui doit répéter nos chansons?
Tu me demandes de te parler de Docteur Dahesh « en termes plus clairs »! Tu viens dans ma solitude la plus tranquille, à cette heure encore où l’aurore cueille les étoiles. Et tu me poses la question: « Est-ce bien lui le matin des matins sublimes? » Tu veux savoir, tu veux connaître. Tu devines l’avoir comme connu il y a bien longtemps. Le jour où Rome cruci-fiait les prophètes; le jour où Pilate reniait. « C’est comme si j’ai bu à cette fontaine, » me dis-tu.
Comme si tu as bu à ses larmes.
Et tu veux savoir et tu veux connaître, comment moi-même, je l’ai rencontré, et dans quelles circons-tances.
Quelque chose d’inapaisé, et d’inapaisable, bat au rythme de chaque instant. Et ta faim et ta soif me reviennent à l’heure où, suave, l’aube caresse les étoiles… Était-ce il y a longtemps? L’ai-je vite suivi, ou seulement si mon âme a marché à sa rencontre comme vers une fontaine?
Le Monde, mon frère, est loin d’éditer les mots qui me brûlent les lèvres. Mais leur feu gît muet dans mon granit et berce mon âme aux chants multi-colores de ses étincelles… ces mouettes! Je crois fermement que « Dahesh » est un mot qui restera au-delà de toute expression. Au-delà de toute parole. Au delà de tout rêve et de toute pensée humains. Car le Poète qui l’a prononcé est cela même ce qu’il y a de plus divin en nous! Comme le silence sidéral au coeur des étoiles: pour entendre sa lointaine vision, il faut d’abord écouter son propre coeur.
La première fois que je vis Dahesh, c’était hier encore! Et ce sera encore demain, moments de brume au sein de l’indéfini spirituel. J’avais vingt ans. Était-ce en moi que je pressentais ce germe de paradis naissant, lot ineffable et confus? Était-ce le murmure ravi d’un lointain et inexprimable passé? Je ne sais… Toujours est-il que, ma prime rencontre sur la terre des hommes, en ce siècle, simplement, fut pareille à un tressaillement de renaissance, à une joie de baptême dans l’Olympe des dieux. Et saura-t-on jamais le vrai visage de ces moments qui dissimulent tant d’aubes imprévues?! Oh! a une explosion de fleurs au milieu des ravages de l’hiver. Et les dimensions et les mots, et les choses, et la vie, et l’expression: tout avait disparu.
Je me vis divin moi-même…
Je réintégrais mon Dieu!
Pourtant le doute battait son plein et ma foi d’une aile… Que ma vie, il est vrai, non seulement filait à la dérive des jours, mais je le sais mainte-nant, aucun idéal, aucun espoir de la rose à la ruche n’était venu tenter mes ailes. Et j’allais, ombre de vertige, emporté par le vol d’un refrain sans nid ni moisson! Et c’était encore l’ennui! Ce vin acide que refuse de boire la jeunesse fourvoyée! Un ennui monotone de calice l’autre, sans le salut d’un reflet pour nuancer d’espoir l’incohérence des choses de la vie.
Un néant! revêtu d’instants lumineux sans but ni visage!
La nuit me cernait et le silence sidéral au fond des choses me pesait de tout son poids d’étoiles! La nuit… d’où naîtront toujours des chants vers l’aube!
Ô Frère divin!
L’Ali du Bien-Aimé!
Ange de prodiges!
Miracle infini!
Bénis cet inconnu qui T’a recherché toute son enfance; toute sa jeunesse. Qui s’est éveillé vers Toi pourtant avec chaque battement d’heure, avec chaque pas de saison que la poussière donne, et que l’oubli efface…
Te connaître!
Davantage!
Dans son immense amour pour la vie!
En Toi!
Par Toi!
Au-delà de lui-même!
Dans le rêve et le songe!
Et le parfum du coup d’aile,
final,
extrême…
Au coeur insondé de l’insondable Divin!
Je ne crois plus à la bonté da la race humaine.
Désormais pour moi,
tout ce qui est d’elle porte l’empreinte de la vanité.
Toi seul est mon Guide à présent!
Ô Frère millénaire!
Ô Firmament pur!
Havre imprévu et miséricordieux!
– C’est moi Abel, Ton frère!
C’est moi la faute! –
Bénis la coupe que demain m’offre, mains de brume guidant l’espoir vers l’impénétrable indéfini!
Que le salut que je lance à mes frères en l’Hhumanité,
en Toi trouve son nid éternel et infini.
C’est le matin qui se lève,
beau comme Toi, Prophète de l’Arabie,
et les étoiles sont évanouies…
Nous sommes l’un de l’autre,
– étoiles du silence! –
Je suis de toi,
– pouvoir sidéral! –
Et vous rêves! rêves!
Comme l’eau d’une fontaine,
nous sommes l’un de l’autre
– amertume! –
Ô Poésie!
Toi qui ne chantes que la vie et l’amour en l’homme,
allons retrouver l’aube,
au bout du long chemin,
retrouver l’aube au bout de la lutte!
Voici nos chants!
Voici notre sang!
Voici nos rêves, nos peines et nos diamants!
Dans mon rêve le plus profond
je te vis!
– Dahesh! –
Tu étais au-delà du Monde,
siégeant comme une vision de jaspe et de cornaline,
sur un Trône de diamants et d’émeraudes.
Tes Six Anges se tenaient trois à ta droite, et trois à ta gauche!
Un Séraphin de ton Armée céleste s’avança,
tenant une balance prête dans la main.
Quand tu lui fis signe,
il se pencha et cueillit le Monde,
comme un fruit mûr sur la branche du Temps;
et le posa sur un des plateaux éclatants de la balance.
Et puis il le pesa…
Hier, en passant près de ma demeure,
tu es venu t’asseoir à l’ombre de mes jardins.
Tu as mangé de mes fruits;
et dans le silence de ton coeur,
tu a béni mes arbres et mes rameaux.
Depuis ce jour mémorable,
j’ai tracé de nouvelles allées
parmi l’herbe tendre et les fleurs odorées.
Et ma tristesse me tourmente
– sans cesse –,
car en mon coeur quelque chose me dit,
qu’avant longtemps,
tu ne reviendras plus mêler ton ombre
aux ombrages que tu as bénis.
Tes traces sont encore partout vivantes;
aucun pas d’ami n’est venu les effacer.
Car parmi l’herbe verte et les feuillées fleuries,
j’ai emprunté de nouveaux chemins.
Et chaque matin je me lève avec l’aube,
et nettoie la poussière des étoiles,
qui tombe les effleurer;
et je prie le Ciel que tu reviennes,
en baisant, comme elle,
ô Dahesh!
ton passage qui m’a béni.
Demain je serai un peu de cendres
dans la main de la nuit!
Demain je serai un chant muet
au sein d’une corolle!
Mais Ton souffle ressuscitera ma joie,
et les abeilles messagères
butineront dessus ma fleur!
Copyright © 2009 Georges H. Chakkour – Tous droits réservés