Amertume
Nous sommes l’un de l’autre,
– étoiles du silence! –
Je suis de toi,
– pouvoir sidéral! –
Et vous rêves! rêves!
Comme l’eau d’une fontaine,
nous sommes l’un de l’autre
– amertume! –
Puisque l’innocent est jeté dans l’abîme.
Puisque les valeurs rampent adorer le crime.
Puisque l’aigle de la haine envahit toute cime.
Puisque le mal a triomphé quoique nous fîmes.
Seigneur…
Puisque tu as cessé d’être leur Dieu!
Regarde comme la mouette,
la colombe,
de leur sang clair,
entachent ces lieux d’hier.
Ecoute ce qu’on maudit
contre la fleur impeccable
au parfum d’étoiles.
Une nuit diurne jubile et dévaste, insondable, le jour.
La liberté? La dignité?
Des flots rebelles brisés, humiliés!
Espoirs crispés,
des mères squelettes rognés, leur bébés dans les bras,
par les rats!
Et la haine gronde sordide,
et rugit en ces dunes
de ronces et de crânes,
que non, à jamais inapaisées…!
Là, le frère ronge le frère,
rampe et se tortille sur son cadavre comme ver sur ver,
se dévorant dévoré!
Là, un prêtre borgne qui va boitant la parole sainte,
lui-même cimetière vivant de l’orphelin!
Là, de creux et monstrueux philosophes,
se donnant pour des rebelles de haut vol,
se traînent en remorquant leur carcasse de raison,
comme par sa queue envahie de mouches,
l’âne monté d’un singe la dépouille d’un lion!
au cou la chaîne lourdaude des mots qui grincent, vides,
singent et rient.
De leurs langues aiguisées lacèrent
et « bifident » la poitrine pure du seul Nazaréen.
S’embourbe l’élan, et tombes!
rejettent par milliers leurs lots de morts,
et se referment sur d’autres aubes d’amour
qui geint!
Ô Seigneur!
Quel crime avons-nous donc commis?
Quel crime pour endurer ce long châtiment?
Et Ton amour? et le pardon? et Ta miséricorde?
Sommes-nous responsables d’un prophète exilé?
Est-ce cela le crime?
Dis-le Seigneur!
Avons-nous piétiné sa jeunesse,
et les rêves si beaux qu’il donna?
Est-ce cela, déicide à l’extrême, la faute?
En revêtant ses ailes,
ils ont pénétré l’abîme
et entraîné avec eux tout le pays! Oui! oui!
C’est comme si l’âme christique de l’immolé
aurait jeté sur eux son cri abasourdissant.
Et nous tombons,
et nous sombrons dans la spirale du vide,
un gouffre cadenassé de néant,
aveugle geôlier de l’éternité.
Loin, loin de Ton firmament
qui se referme en un point infini d’aiguille.
Ô Liban! Quelle chute!
Quel écroulement dans la boue,
le sang, les larmes et la poussière.
Noire ta neige aujourd’hui par ton deuil!
Tes jours sont nuits devenues!
Tes langes, linceuls!
Et qui va te relever? toi le Sage!
Toi le Bel-Adolescent!
Toi le Brave parmi les Braves!
Ange aveuglé d’orgueil!…
Et ta lyre ensanglantée,
sur les rivages du Temps,
à jamais! restera pleurer,
toi qui ne sera plus,
et la Rose qui voulut te sauver!
Nous sommes l’un de l’autre,
– étoiles du silence! –
Je suis de toi,
– pouvoir sidéral! –
Et vous rêves! rêves!
Comme l’eau d’une fontaine,
nous sommes l’un de l’autre
– amertume! –
Ô Poésie!
Toi qui ne chantes que la vie et l’amour en l’homme,
allons retrouver l’aube,
au bout du long chemin,
retrouver l’aube au bout de la lutte!
Voici nos chants!
Voici notre sang!
Voici nos rêves, nos peines et nos diamants!
Dans mon rêve le plus profond
je te vis!
– Dahesh! –
Tu étais au-delà du Monde,
siégeant comme une vision de jaspe et de cornaline,
sur un Trône de diamants et d’émeraudes.
Tes Six Anges se tenaient trois à ta droite, et trois à ta gauche!
Un Séraphin de ton Armée céleste s’avança,
tenant une balance prête dans la main.
Quand tu lui fis signe,
il se pencha et cueillit le Monde,
comme un fruit mûr sur la branche du Temps;
et le posa sur un des plateaux éclatants de la balance.
Et puis il le pesa…
Hier, en passant près de ma demeure,
tu es venu t’asseoir à l’ombre de mes jardins.
Tu as mangé de mes fruits;
et dans le silence de ton coeur,
tu a béni mes arbres et mes rameaux.
Depuis ce jour mémorable,
j’ai tracé de nouvelles allées
parmi l’herbe tendre et les fleurs odorées.
Et ma tristesse me tourmente
– sans cesse –,
car en mon coeur quelque chose me dit,
qu’avant longtemps,
tu ne reviendras plus mêler ton ombre
aux ombrages que tu as bénis.
Tes traces sont encore partout vivantes;
aucun pas d’ami n’est venu les effacer.
Car parmi l’herbe verte et les feuillées fleuries,
j’ai emprunté de nouveaux chemins.
Et chaque matin je me lève avec l’aube,
et nettoie la poussière des étoiles,
qui tombe les effleurer;
et je prie le Ciel que tu reviennes,
en baisant, comme elle,
ô Dahesh!
ton passage qui m’a béni.
Demain je serai un peu de cendres
dans la main de la nuit!
Demain je serai un chant muet
au sein d’une corolle!
Mais Ton souffle ressuscitera ma joie,
et les abeilles messagères
butineront dessus ma fleur!
Copyright © 2009 Georges H. Chakkour – Tous droits réservés